Sarita

Quinze jours*

Ce texte existe en version enregistrée. Pour écouter le podcast, suivez ce lien : Quinze jours

Par la fenêtre, les doux rayons du soleil et le calme du paysage contrastent avec ce flux d’information et de réflexion constant. Une paisible alchimie semble s’opérer au coeur de cette nature qui, ébranlée durant des décennies, offre une leçon de résilience incommensurable. 

Quinze jours, déjà. Quinze jours qui, beaucoup s’accordent, bouleverseront notre devenir. 

L’histoire de l’être humain l’a déjà démontré : sa métamorphose, bien que portée par l’inconscient collectif, peut aussi lui échapper inopinément.

Qu’adviendra-t-il de ce collectif ? Ce “nous” est-il prêt et assez solide pour traverser cette épreuve ? Quelle nouvelle page écrivons-nous, semi-conscients, semi-puissants, semi-béants, face à la silencieuse violence qui traverse nos pays ?

À mesure que leurs habitants s’essoufflent, enchaînés par cette douleur invisible enlisée dans nos rues, les villes, campagnes et océans semblent mieux respirer. Le paradoxe de la vie humaine au sein de l’écosystème terrestre se décrit, lentement, à travers ces quinze jours. 

La distanciation sociale fera-t-elle renaître l’empathie naturelle enfouie derrière nos costumes sociaux ? Dans l’épreuve, l’ego sera-t-il mis de côté pour gratter plus loin et faire ressurgir cet élan collectif, à l’image de la nature inébranlablement unie et reliée ? 

Le miroir des jours transforme nos questionnements : il est loin le temps où la crainte était balayée du bout des doigts, minimisant un danger renvoyé vers des contrées lointaines. La société occidentale et son costume inébranlable…

Puis, peu à peu, l’anxiété s’installe alors que les mesures tombent. Nos habitudes sont, soudainement, bouleversées. Si soudainement que, ça-et-là, de vieux réflexes jaillissent : ceux des fêtes rebelles et improvisées, ceux des achats frénétiques dans les magasins dévalisés, comme répondant à l’appel d’une nouvelle prophétie.

Pour garder le cap sont nés des élans positifs : ceux des challenges virtuels et ludiques, ceux des communautés solidaires. Finalement, celui de la reconnaissance unanime à l’égard de professions entières. Leur dimension philanthrope est aujourd’hui symboliquement et quotidiennement saluée. 

Par la fenêtre, le chant des oiseaux s’accorde harmonieusement avec la brise légère et le parfum du printemps. La nature parvient, dans un rééquilibrage permanent de chacun de ses maillons, à garder son cap collectif. Qu’en sera-t-il des dissonances humaines ? 

 Après quinze jours, le coeur se détache doucement des divertissements à mesure que le cerveau dompte l’incertitude, accepte les contraintes ainsi que ce rythme nouveau. Le corps, peu à peu, s’engage dans un tête-à-tête avec l’entendement : il se place au rythme du questionnement. D’abord, il accueille les pensées, puis découvre les émotions sous un regard neuf. Il les analyse, puis fait le vide pour les laisser filer. Dans cette valse confuse d’idées, de jugements, de sensations ou de raisonnements, il se sent, pour la première fois, complètement dépassé. Après quinze jours seulement, il comprend que quelque chose a changé. 

Par la fenêtre, il découvre les feuilles terrassées par la nuit froide qui habillent, à présent, de leur couleur vive l’herbe parfumée du matin. À la radio, entre conseils et recommandations, certaines nouvelles le replonge dans la douloureuse réalité : celle de la perte d’une connaissance ou d’un proche, dans des situations si difficiles et si inhumaines, de séparation. Au-delà de l’indescriptible douleur, mourir-séparés reflète une condition si éloignée de notre capacité à vivre-ensemble.  

Vivre-ensemble : n’est-ce pas la réponse à ce questionnement méta-crisique ? À l’instar de l’écosystème naturel qui, par la fenêtre, nous démontre une fois encore sa capacité à défier chaque tempête pour renaître dans une harmonie nouvelle, l’écosystème humain ne se laisserait-il pas bercer, plus naturellement, vers cette capacité intrinsèque ?

Serait-ce le message sous-jacent de cette rupture brutale de l’idéologie de consommation frénétique : un temps pour le renouveau collectif ? 

Un temps précieux, comme le démontre le décompte des jours. Un temps pour se réconcilier avec nos valeurs sociales aussi enfouies qu’ancrées, pour se reconnecter à notre intelligence partagée et pour unifier notre ADN humain : solidaire, empathique et naturellement puissant.

* Ce texte a été rédigé après 15 jours de confinement et publié au lancement du blog, le 14 avril 2020.